Je me réveille à l’aube pour voir le lever du soleil depuis le train. Le paysage a complètement changé, plus d’arbre ni le moindre buisson mais un désert froid avec de la terre rouge au jaune parfois couverte d’une maigre couche d’herbe qui me rappelle un peu les Pamirs. Il fait cependant beaucoup plus froid à voir les ruisseaux et les petits lacs gelés. L’employée du train distribue des boîtes contenant de petits flacons vraisemblablement pour prévenir le mal d’altitude, la ligne ferroviaire dépassant parfois les 5000 mètres. Il y a d’ailleurs un apport en oxygène pour chaque couchette. Comme tous les matins, les gens se raclent la gorge et crachent, tradition à laquelle je me suis assez habitué. Néanmoins, mes compagnons de cabine prennent le petit-déjeuner en mâchant la bouche ouverte en s’efforçant d’émettre le maximum de bruit de mastication, et même après près de trois mois en Chine, je n'arrive toujours pas m’y faire. Je retourne m’installer à une fenêtre du couloir, à contempler ce magnifique paysage du Qinghai (le plateau tibétain commence bien avant le Tibet). La ligne ferroviaire est assez récente et est une vraie prouesse technologique, notamment en raison de l’instabilité du sol, du manque d’oxygène et des risques sismiques. Le passage du train suffisant à faire fondre le permafrost, une bonne partie de la ligne repose sur des piliers enfoncés profondément dans le sol lui même refroidi artificiellement. Je m’ennuie pas malgré la durée du trajet tant le paysage est magnifique. Nous passons par de vastes plaines jaunes habitées par des centaines de yaks et parfois une ou deux petites maisons de bergers. Le train longe également des lacs dont les rives sont gelées alors que l’horizon vire au bleu canard. Les montagnes autour de la vallée, qui doivent être à plus de 6000 mètres sont couvertes de neige. A plus de 5000 mètres, il y a même une gare et des villages plutôt austères ressemblant à ceux des hautes Pamirs (quelques maisons en piteux état et ce qu’il faut pour les camions de passage). La ligne ferroviaire finit par s’enfoncer dans une vallée étroite afin de redescendre jusqu’à Lhasa, à “seulement” 3650 mètres. L’entrée dans la capitale tibétaine est un peu décevante, le désert et les lacs laissent place à des industries sales, des centrales à charbon, des villas et immeubles alignés et tous identiques pour loger les colons chinois et la pollution n’a rien à envier à Beijing ou Lanzhou. Arrivé à destination, alors que je pense naïvement présenter mon ticket et sortir de la gare comme partout en Chine, la police chinoise aboie “passport, passport” et m’envoie à un espèce de guichet d’immigration. Une dizaine de minutes plus tard on me rend mon permis et mon passeport et je peux sortir de l'enceinte de la gare où un chauffeur m’attend pour m’amener à l’hôtel, de même qu’un anglais qui était dans le même train. Je partage ma chambre avec un japonais à qui je propose d’aller manger. Tout comme l’anglais qui a pris le même train que moi, je crève de faim car une fois mes nouilles instantanées terminées, la seule nourriture proposée dans le train était une espèce de porridge sucré de soja aux légumes et en boîte (l’une des choses les plus dégueulasse que je n’ai jamais mangée). Nous irons donc dans un restaurant népalais conseillé par le chauffeur où je prendrai un excellent steak de yak et des naans à la viande de yak.